En langue peule, on parle couramment de ngilngu sida pour désigner le VIH. Or, le concept de ngilngu est très large, incluant les larves d’insectes et les vers intestinaux. Le milieu médical moderne a augmenté l’extension du sens de ngilngu en y ajoutant tous les micro-organismes invisibles à l’œil nu mais décelables au microscope optique ou électronique.
Le nom de ngilngu sida n’est donc pas propice à une bonne communication, le terme le plus problématique étant sida. Une enquête de sémantique cognitive a montré que le sida caracolait, pour les hommes, en tête du peloton des maladies mortelles, devant le choléra et les fièvres (dont le paludisme). Pour les femmes, il se classe en deuxième position, après le cancer et avant le choléra. Une enquête complémentaire sur les attributs sémantiques du sida a mis en exergue les traits suivants, dans l’ordre : 1. maladie mortelle ; 2. maladie dangereuse, grave, effrayante ; 3. maladie liée à une mauvaise moralité. Il fallait donc proposer un nouveau nom pour le VIH, qui ne traîne pas derrière lui ces connotations. Nous avons choisi Barooyel sooje’en ɓanndu « le petit tueur / des défenseurs / du corps ». Puis nous en avons tiré un acronyme : « Bar-soo-ɓan ». A partir de là, on peut expliquer le rôle des défenses immunitaires sans employer d’expression contenant le terme de « sida ».
Le meilleur vecteur pour ce nouveau nom nous a semblé être la chanson. Nous l’avons écrite dans un style traditionnel, comme une scénographie en quatre journées.
La première titille l’auditeur en lui annonçant une énigme à résoudre : le petit hôte indésirable dont il va être question se moque des frontières et il s’est installé partout. La deuxième journée, on met l’auditeur sur la piste : le petit hôte travaille en cachette. S’il trouve une porte ouverte, il entre. Il ne fait pas de différence entre homme et femme, jeune et vieux, riche et pauvre, beau et laid. La troisième journée, plus solennelle, on dévoile l’identité du petit hôte. Nous lui donnons un nom, car la chose qui n’a pas de nom est encore plus dangereuse que celle qui en a un. Il s’agit du « Petit qui tue les défenseurs du corps ». La quatrième journée, on voit comment se comporter en présence de l’indésirable. Si chacun peut l’accueillir, chacun peut aussi le repousser. Il est capital de penser à lui, sinon c’est lui qui pensera à vous. Chacun doit donc chercher à savoir s’il est déjà entré chez lui : c’est ce qu’on appelle faire un « test de dépistage du VIH ».
TOURNEUX Henry et al., 2007, Dictionnaire peul du corps et de la santé, Paris, Karthala/OIF.
TOURNEUX Henry et L. MÉTANGMO-TATOU (dir.), 2010, Parler du sida au Nord-Cameroun, Paris, Karthala.
TOURNEUX Henry, 2012, Deux affiches de la fondation Coca-Cola pour la prévention du sida, in ROTHMALER E., TCHOKOTHÉ R., TOURNEUX, H. (éd.), Man and Health in the Lake Chad Basin, L’homme et la santé dans le bassin du lac Tchad, Proceedings of the 14th Mega-Chad Conference, Man and Health in the Lake Chad Basin, Bayreuth Allemagne (15-17 April 2010), Cologne, R. Köppe, coll. « Topics in Interdisciplinary African Studies », p. 187-202.
Alfa Barry, 2009, Le baptême peul du VIH, (texte : TOURNEUX Henry, BOUBAKARY Abdoulaye, HADIDJA Konaï), Langue fulfulde, (Compositeur de la musique, interprète, musicien : ALFA Barry ; textes parlés : HADIDJA Konaï ; Prise de son et mixage : MOUSSA Sodéa Sylvestre), Studio d’enregistrement : Sawtu Linjiila (Ngaoundéré).