> Investir la modernité « Le mouvement Y’ en a marre et le rap »

En 2011, le mouvement "Y'en a marre" est créé à Dakar par un journaliste, Fadel Barro, et par deux rappeurs originaires de Kaolack, Thiat et Kilifa (du groupe Keur Gui), dans un contexte particulièrement tourmenté : les coupures d'eau et d'électricité incessantes, la hausse du prix des denrées alimentaires de base, la corruption de l'Etat et les pratiques népotiques conduisent progressivement la population à l'exaspération. Dans un premier temps, Y'en a marre tente de dissuader le président Wade de se présenter pour un troisième mandat, à l’horizon des élections présidentielles de 2012. Cette candidature viendrait en effet transgresser la constitution, mais Abdoulaye Wade se montre résolu à modifier celle-ci, en cherchant à instaurer un « ticket présidentiel » qui prévoit l’élection au suffrage universel direct d’un président en même temps que d’un vice-président, ceci avec seulement 25 % de voix au premier tour. Le 23 Juin 2011, cette loi est présentée devant l’Assemblée nationale, et Y’en a marre, ainsi que diverses organisations de la société civile et plusieurs leaders de l’opposition, se rassemblent pour protester massivement. Cette manifestation, qui conduira au retrait immédiat du projet de loi, sera le déclencheur d’une longue série d’autres mobilisations, orchestrées par la nouvelle coalition du M23 (en mémoire du 23 Juin), rassemblant une grande partie de la société civile dont Y’en a marre, ainsi que la plupart des partis d’opposition. Parmi les leaders les plus marquants de ce mouvement citoyen, on compte une majorité de rappeurs, venus rejoindre les membres fondateurs. Y’en a marre met à profit leur notoriété, leur aura et leur talent communicationnel pour fédérer la population sénégalaise. Des hymnes rap viennent accompagner chacun des évènements de l’année 2011, les concerts sont suivis de débat, et leurs apparitions dans les médias sont fréquentes. Le 25 Mars 2012, Macky Sall, chef de file de l’opposition, est élu président de la République du Sénégal. Aujourd'hui, « Y’en a marre » tente de se pérenniser sous la forme d'un mouvement citoyen, dont l'objectif affiché est d'éduquer et de faire émerger un "Nouveau type de Sénégalais", le NTS. Plusieurs de ses membres ont émigré vers les Etats-Unis, mais d’autres collaborent régulièrement avec des institutions de développement, afin de mener des projets en faveur de la population. Ils prétendent également continuer à exercer un rôle de veille des institutions politiques au Sénégal.

Y’ en a marre, un mouvement sénégalais de contestation
clip : https://www.youtube.com/watch?v=gVk2NoeLMGE

Références

HAVARD Jean-François, 2005, Bul Faale ! Processus d’individualisation de la jeunesse et conditions d’émergence d’une génération politique au Sénégal, Lille, thèse de doctorat en sciences politiques à l’université de Lille 2.

MOULARD Sophie, 2008, Senegal Yewuleen ! Analyse anthropologique du rap à Dakar : liminarité, contestation et culture populaire, Bordeaux, thèse de doctorat en anthropologie sociale et culturelle soutenue à l’Université Victor Segalen Bordeaux 2. (A paraître aux éditions Karthala),
http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/49/08/05/PDF/These_VOL2_Moulard-Kouka.pdf

THIAT & SIDY CISSOKHO, 2011, « Y’en a marre. Rap et contestation au Sénégal », Multitudes, n°46, pp. 26-34.