Dar es Salaam, capitale économique de la Tanzanie, est considérée depuis une quinzaine d’années comme l’un des hauts lieux de production de la musique rap sur le continent africain. Ce genre est intégré au sein d’un vaste mouvement appelé Bongo Flava, dont il constitue sans doute l’expression la plus radicale. De nombreux observateurs se sont intéressés à son rôle de vecteur d’une critique sociale et politique auprès de la jeunesse tanzanienne (Perullo, 2005 ; Bancet, 2007). Cependant, cet élan semble s’être affaibli au cours des dernières années, en partie à cause de la pression des principaux médias, qui imposent un formatage des chansons, autant du point de vue de leur forme que de leur contenu.
Depuis les années 2010 en revanche, de nouveaux artistes sont apparus, dont le parcours et le travail témoignent d’une grande originalité : issus du théâtre, mais également poètes, auteurs de scénarii pour la télévision ou réalisateurs de documentaires, Mrisho Mpoto et Irene Sanga ont entrepris de faire de la musique afin de communiquer leurs messages au plus grand nombre. Ces artistes se considèrent comme des conteurs (“story tellers”), et ils ont adopté le “slam” comme « forme d’expression scandée ou chantée » leur permettant d’élargir le spectre de leur audience. Le caractère inédit de leur démarche permet de renouveler le discours social et politique véhiculé dans les musiques populaires en Tanzanie. Ainsi, l’enjeu pour la recherche anthropologique est de montrer comment le « slam », expression d’origine noire américaine, fait ici l’objet d’une réappropriation par l’exploration de thèmes ancrés dans le local, ainsi que par le choix d’une langue swahilie élaborée, entre écrit et oral.
Au-delà, il est désormais possible d’observer des scènes slam dans un nombre croissant de pays d’Afrique. Au Sénégal, ce sont des rappeurs entrés dans une pratique de mobilité pendulaire entre Afrique et Occident qui ont initié les premières soirées slam dans la capitale dakaroise. Plus intimiste, plus « conscient » aussi, le slam accompagne une certaine maturité du rap, un accent porté sur les textes. Au Burkina Faso, au Gabon, au Togo, de nouveaux artistes émergent, soucieux de promouvoir une génération de jeunes conscients de leur histoire (souvent véhiculée à travers le panafricanisme) et responsables de leur avenir. Le slameur togolais Elom 20ce est l’un d’entre eux, témoin et acteur d’une scène musicale en pleine transformation sur le continent africain, entre professionnalisation, structuration du marché d’une part ; maturité des textes, sophistication des outils technologiques et des formes de diffusion d’autre part.
ENGLERT Birgit, 2008, « Popular Music and Politics in Africa », Stichproben (Vienna Journal of African Studies), N°14, pp.1-15.
MOULARD Sophie, à paraître, « La Source et le Message. Trajectoires panafricaines du rappeur togolais Elom 20ce », in LE LAY Maëline et Nadine SIEGERT (éds) Archives, textes, performances, Rennes, Presses universitaires de Rennes.
PERULLO Alex, 2005, « Hooligans and Heroes: Youth Identity and Hip-Hop in Dar es Salaam, Tanzania », Africa Today, N°51, pp.75-101.