> Paroles bénéfiques « Le nom secret chez les Bwa (Mali) » (Cécile Leguy)

La première initiation, le za-ténu, (enfants/présenter/suffixe d’action) consiste en la dation d’un nom secret ou « nom du marigot » (vún yènú : marigot/nom) à l’enfant, lors d’un rituel de présentation au Do, principe d’unité des Bwa (Capron, 1962), qui a généralement lieu près d’un cours d’eau. Cette initiation qui concerne l’enfant en bas-âge et se fait parfois en son absence (s’il vit en ville par exemple) est cependant considérée comme plus importante que l’initiation aux masques qui a lieu à l’adolescence (et a disparu dans certains villages). Pour choisir le nom qui convient le mieux à l’enfant, on a généralement recours au devin qui donne des pistes pour aider au choix. En général, cette présentation a lieu dans la toute petite enfance, parfois plus tard par exemple quand il s’agit d’une nouvelle épouse issue d’une population où cette initiation n’est pas pratiquée, afin de l’intégrer à la communauté, ce qui est le cas dans l’extrait de film présenté. Ce nom n’est pas utilisé au cours de la vie, on le garde secret en guise de protection. Il est habituellement choisi parmi les noms usuels des aïeux de l’enfant. Considéré comme le « vrai nom » de la personne (les autres noms usuels qu’elle peut recevoir au cours de sa vie ne donnant pas la même emprise sur son être), il est également celui par lequel elle est reliée au monde des ancêtres. Quand une personne, homme ou femme, a suffisamment bien vécu pour prétendre au statut d’ancêtre après sa mort, il est nécessaire d’appeler ce nom lors de ses funérailles, selon un rituel spécifique. Là encore, c’est le devin qui aidera la famille à trouver le nom secret du défunt si, comme c’est souvent le cas, il ne reste plus personne ayant assisté à son initiation et pouvant se souvenir de son nom. Le devin est celui qui connaît le chemin (on l’appelle wàn-dé : chemin/mettre). Il peut indiquer différentes possibilités (il « met dans le chemin »), comme on peut le voir dans le film, mais ce sont les descendants du défunt qui choisiront en dernière instance le nom qui sera crié. Dans le choix de ce nom d’ancêtre, tout comme dans le choix du nom donné lors du za-tenu, se jouent ainsi des stratégies familiales où certains aïeux sont valorisés tandis que d’autres, au passé moins honorable, peuvent être négligés. Ainsi, cette petite parole « secrète » a-t-elle un grand pouvoir, non seulement du fait du rôle protecteur qu’elle est censée jouer lors de la vie de l’individu, mais aussi d’un point de vue social puisque son attribution suppose un travail sur les généalogies qui mène parfois à des reconstructions ou des oublis.

Références

CAPRON Jean, 1957, « Quelques notes sur la société du do chez les populations bwa du cercle de San », Journal de la société des Africanistes, tome XXVII, fasc.1. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jafr_0037-9166_1957_num_27_1_1882

CAPRON Jean, 1973, Communautés villageoises bwa. Mali – Haute-Volta, Paris, Institut d’Ethnologie – Musée de l’Homme.