> Le conte, outil d'éducation « Le conte : outil d’éducation » (Suzy Platiel)

« En étudiant, chez les Sanan du Burkina Faso, comment – en l’absence d’école et d’écriture – se faisait l’éducation des jeunes pour qu’ils deviennent des adultes responsables bien intégrés dans leur communauté, j’ai pu mesurer le rôle essentiel qu’y jouaient les contes écoutés et racontés régulièrement à chaque saison sèche dans la formation de l’être : soit l’« être social » et l’« être individu ». Car si, à travers leurs messages, les contes transmettent aux jeunes et rappellent aux adultes, les codes de comportement de leur société, comme me l’a dit un jour un vieil homme : « ils apprennent aussi aux enfants la maîtrise de la parole », parole qui – comme ils le disent – « distingue les humains de toutes les autres espèces vivantes ».

En effet, c’est en encourageant son désir de conter comme les grands, que l’enfant va commencer par apprendre à écouter, à se concentrer et à développer un type de mémoire, nécessairement appropriatif en l’absence du texte écrit.

Puis, quand il aura bien intégré tous ces points et qu’il sera capable de conter à son tour en retenant l’attention de son public et en respectant l’ordre de succession des séquences qui, organisées en une succession de relations de cause à conséquence amenant inéluctablement à la conclusion, constituent la « colonne vertébrale » du récit, c’est qu’il aura aussi acquis toutes les structures cognitives indispensables à la maîtrise de la parole : mécanismes de symbolisation, maîtrise de la relation au temps et à l’espace, développement de l’intelligence et d’un raisonnement basé sur la logique du discours.

M’appuyant sur cette analyse, il m’a semblé que pour remédier à l’échec de notre modèle éducatif qui, aussi bien pour l’éducation du « faire » que pour celle de « l’être » n’est plus du tout en phase, ni avec ce que sont devenus nos nouveaux modes de communications, ni avec l’organisation et les besoins de notre monde mondialisé, il conviendrait de compléter notre enseignement traditionnel fondé sur l’écriture, par un enseignement qui, reprenant autant que faire se peut le modèle des sociétés de tradition orale, apprendrait aux élèves, à travers le conte entendu et raconté, la maîtrise et l’utilisation de la parole orale.

Sans être la solution radicale à tous nos problèmes, si j’en juge par les facultés de raisonnement et le comportement très socialisé des jeunes Sanan quand ils étaient éduqués traditionnellement, cela devrait permettre aux jeunes :

Références

PLATIEL Suzy, 1984, « A l’école du conte africain » in Le français d’Aujourd’hui « Contes à lire et à conter », déc. N°68, Paris, pp. 49-56.

—, 1993, 1993 « L’enfant face au conte » in Cahiers de Littérature Orale n° 33, p. 163-176.

—, 2002, « Le conte africain à l'école » Interview in la grande Oreille, Paris, N° 12, p. 79-83, ENA A., 2013, « Au pays du conte », CNRS Images, http://videotheque.cnrs.fr/doc=4095

TULET A., 2013, « Les histoires de Suzy - Plaidoyer pour le conte », http://www.franceculture.fr/emission-sur-les-docks-prelude-au-salon-du-livre-23-%C2%AB-les-histoires-de-suzy-platiel-%E2%80%93-plaidoyer-pour-le-conte